Poésie et fauchage

Un poète de la faux nous fait partager ses sensations de fauchage sous forme de texte et de poésie.
Merci Philippe !

Chant du matin à la faux

Aujourd’hui, la faux dansait entre mes mains,
Sous le ciel doux d’avril et ses parfums lointains.
Je slalomais parmi les fleurs que je chéris,
Gardant vivants leurs éclats, leurs tendres cris.

L’herbe ployait dans un soupir léger,
Et déjà, l’escargot, timide passager,
Glissait en paix sur les tiges allongées,
Comme un roi lent sur un royaume allégé.

Ma conscience en éveil, mon âme en émoi,
Se réjouissaient d’un geste, d’un humble choix.
Faucher sans brusquer, écouter le silence,
Et voir la vie bouger, dans toute sa nuance.

Ce chantier-là, c’était un chant sacré,
Un ballet discret, mais profondément vrai.
La faux ne tue pas, elle trace et libère
Le passage aux vivants dans ce doux sanctuaire.

Chers amis,

Je voudrais partager avec vous une réflexion sur la faux – cet humble instrument qui, sous son apparence paisible, recèle une profonde poésie. Chaque fois que je la tiens en main, je sens vibrer en moi la résonance de traditions anciennes. Je nous imagine dans une forge à l’ancienne, peut-être au Moyen Âge, où le fer brut devient lame sous les coups sûrs du marteau. L’ardeur du feu fait danser l’acier, et le forgeron modèle la lame, lui donnant peu à peu son tranchant et son âme. Dans la pénombre orangée, le monde semble retenir son souffle, comme pour écouter l’écho lointain des étoiles et le secret des forges oubliées.

L’acier de la faux vient de très loin, bien au-delà du feu du forgeron : il a d’abord vécu au cœur même de la Terre. Sous la croûte terrestre, le fer a été cuit pendant des millions d’années, chaud et caché, avant d’être extrait par l’homme. Chaque lame, lorsqu’elle est polie, garde en elle la mémoire de ce voyage immémorial. On pourrait dire que l’acier respire encore de la respiration du monde – comme un souffle lent, enfoui, qui a émergé des entrailles de la Terre. Le métal brillant de la lame devient à son tour une forme de vie minérale, chargée d’une énergie venue des profondeurs du sol.

Et puis il y a le manche – simple pièce de bois clair qui achève cet objet vivant. En frêne, il nous rappelle lui aussi l’alliance du ciel et de la terre. Toucher ce bois, c’est toucher l’écorce d’un ami. Le frêne a poussé en s’imprégnant du vent et de la pluie, changeant de teinte au fil des saisons. Ses anneaux de croissance sont les marées du temps, et ses fibres sont animées d’une respiration végétale lente. Prenez le manche, sentez sous vos doigts cette trame vivante : c’est comme si l’arbre, dans son sacrifice, continuait d’offrir son énergie, faisant un pont entre notre main et la nature environnante.

La faux, au-delà de son utilité évidente, nous relie à un héritage ancestral. Cet outil est aussi vieux que l’agriculture et le travail des champs. À chaque geste de fauchage, nous nous trouvons en communion silencieuse avec ceux qui, avant nous, déroulaient les gerbes. Faire corps avec la faux, c’est offrir à notre être entier un souffle nouveau : le balancement du bras nous inscrit dans un rythme méditatif, la sueur sur notre front fusionne avec l’air matinal et le chant des oiseaux. L’effort n’a plus de frontière : dans la continuité de chaque geste, on entend battre le pouls du monde.

Il existe une parenté insoupçonnée entre ces mouvements du corps et les postures du Qi Gong. La danse du fauchage est lente et fluide, presque chorégraphiée par la nature elle-même. Notre geste, ancré et équilibré, rappelle les positions méditatives de certains arts anciens : bras tendu et contrôlé, bassin stable, regard porté loin devant, comme si l’instant invitait chaque cellule du corps à se détendre. Sans y penser, nous synchronisons notre souffle avec la rotation silencieuse de la Terre, unissant ainsi notre corps et notre esprit en une harmonie ancestrale, comme le Qi Gong nous l’enseigne.

Puis, quand les meules de foin s’accumulent, que les fleurs fanées rejoignent le sol, le paysage parle de saisons et de lune. L’été s’étire, l’herbe se couvre d’un duvet doré, la journée se prolonge et, tard le soir, la lune s’invite au milieu du pré. Sa lumière pâle danse sur les tiges coupées et les odeurs de foin sec. Il y a quelque chose d’atemporel dans cette scène : la faux qui trace ses rangées se fait écho des cycles de la nature. Chaque brassée de foin séché nous murmure la chaleur de l’été passé; chaque pleine lune, complice muette, veille sur nos nuits, rappelant le mystère inaltérable des saisons.

Tout autour, nous respirons au même rythme que la Terre et que la Lune. Le monde, à cet instant, suspend son bruit : la Terre inspire, la Lune vibre, et nous, nous respirons. Parfois, au bord du champ, j’aime imaginer que le cœur de la Terre bat à l’unisson avec le mien. Sa respiration lente irrigue nos veines de gazon et d’argile; notre souffle, en retour, célèbre son infinie douceur. Le vieil astre nocturne aussi semble retenir son souffle à notre tour : il nous rappelle que la Terre et l’homme partagent un même secret : respirer est un acte sacré, une communion silencieuse.

C’est pourquoi la faux nous demande de ralentir. Chaque mouvement est lent et mesuré, chaque pas est posé avec soin. En la maniant, nous apprenons à écouter le rythme paisible de notre propre cœur, à connaître la profondeur de nos souffles. Nous apprenons à respecter la Terre : car il existe une manière juste de faucher, où le geste est doux et confiant, où l’on ne cède pas à la hâte, mais où l’on laisse le temps accomplir son œuvre. Dans cette lenteur vigilante, le travail bien fait devient une offrande à la nature elle-même.

Je vous invite à reconnaître cette vérité : la faux, simple instrument de fauchage, peut devenir une école de sagesse. Quand vous saurez joindre vos efforts au doux mouvement du vent dans les blés, quand vous sentirez votre corps entier s’accorder au chant des oiseaux, vous commencerez sans doute à écouter la mélodie de la vie. Que ce soit un matin d’été, une soirée d’automne ou sous la veille attentive de la pleine lune, laissez votre cœur danser avec l’outil, en harmonie avec la Terre.

Avec toute mon amitié et ma fraternité,

Un poète de la FAUX…..

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